La Rédemption Promise, la Déception Aiguë : Quand la Révolte Oublie le Peuple
Madagascar retient son souffle, trois mois après les événements qui ont secoué ses fondations. Ce qui a commencé par un cri de colère légitime, poussé par des citoyens, notamment la « Génération Z », exaspérés par l’obscurité des délestages et le manque d’eau, s’est transformé, sous nos yeux incrédules, en une tragédie politique. La mobilisation, partie du simple constat de l’échec des services publics essentiels le 25 septembre dernier, a dérivé, face à un maintien de l'ordre inefficace, vers l'insurrection, et finalement vers un changement de régime. Aujourd’hui, la grande majorité silencieuse regarde le spectacle avec une déception amère, se demandant : à quoi tout cela a-t-il servi ?
OPINION
Rakoto
12/27/20252 min temps de lecture


L'Échange des Chaînes
Le motif initial de la colère populaire était simple et vital : obtenir de l'eau et de l'électricité. Pourtant, trois mois après le départ forcé du Président démocratiquement élu, ces maux quotidiens, ces symboles de l'échec étatique, n’ont pas disparu. L’électricité est toujours capricieuse, l'accès à l'eau reste incertain. Le peuple a réclamé une solution à ses problèmes de survie ; il a obtenu un changement de visage à la tête de l'État. Un échange de chaînes, sans libération. Cette déception est d'autant plus profonde que la crise humanitaire guette. L'approche imminente de la saison des cyclones, synonyme de désastres et de crises sanitaires amplifiées par l’instabilité actuelle, devrait mobiliser toute l'énergie des nouvelles autorités. Or, les priorités semblent ailleurs.
Le Spectre de la Vengeance Politique
Alors que les problèmes fondamentaux persistent, les premiers signaux envoyés par les nouveaux tenants du pouvoir sont troublants. L’on observe des libérations de prisonniers condamnés pour des délits de droit commun. Si l'apaisement est nécessaire, un tel empressement soulève des questions sur le respect de l'État de droit. Plus alarmant encore, ce changement de régime s'accompagne d'un sentiment croissant de vengeance politique. Une certaine frange de la population semble recevoir un blanc-seing pour régler des comptes. Ces actes, loin de restaurer la confiance, sèment la division et rappellent les pires heures de notre histoire politique, où l'opportunisme primait sur l'intérêt national. La majorité silencieuse – les mères de famille, les travailleurs, les étudiants qui ont cru à la promesse de la rue – ne souhaitait pas un règlement de comptes ; elle exigeait une gouvernance stable, juste, et efficace.
Où est la Rédemption ?
Les jeunes de la « Génération Z », dont la ferveur initiale était admirablement centrée sur le social et l’économique, se retrouvent aujourd'hui instrumentalisés par des jeux de pouvoir qu'ils n'ont pas initiés. Leurs revendications légitimes sont désormais noyées dans la complexité d'une crise institutionnelle. La déception est là, palpable, car le scénario d'une crise résolue par un changement de pouvoir, mais qui échoue à résoudre les problèmes de fond, se répète. La légitimité d’un régime ne se mesure pas à la force avec laquelle il prend le pouvoir, mais à l’efficacité avec laquelle il sert le peuple. Les nouveaux dirigeants ont l'obligation morale et politique de prouver qu’ils n’ont pas simplement volé la colère du peuple pour leurs propres fins. Ils doivent, de toute urgence, éteindre les rancœurs, rétablir l'ordre républicain, et surtout, rallumer les lumières et rouvrir les vannes d'eau. Sans cela, la déception silencieuse d’aujourd’hui deviendra la prochaine vague de colère. Car en définitive, pour le Malgache lambda, le vrai coup d'État n'est pas celui qui change le Président, mais celui qui le prive de la dignité et des services essentiels pour survivre. Et ce coup-là, malheureusement, continue de frapper.
